Poésie

Narcisse

Un vent de narcissisme souffle ici-bas de plus en plus bruyamment
C’est à croire que ne pas se mettre en avant méritera bientôt un châtiment

Le mouvement est plus brutal que la violence de la justice populaire
L’impulsion est aussi régulière que l’action de nos poumons vis-à-vis de l’air

Il est désormais prescrit de parler abondamment de soi au quotidien
Photos et vidéos de sa personne sans cesse dans les moindres recoins

Chacun étalant sa vie privée devant des proches et moins familiers
Ceux qui ne le font pas étant à la limite de mauvais écoliers

On en arrive à un point où l’on n’est plus vraiment mystérieux pour personne
N’importe quel follower nous découvrant aisément à travers notre téléphone

L’on décide souvent de se mettre en scène à des moments très précis
Voulant sans doute montrer au monde que l’on mène une existence bien remplie

L’on déduit que ceux qui ne se prêtent pas au jeu n’ont pas vraiment de vie
Estimant que s’ils ne dévoilent pas grand-chose, alors ils n’ont au fond, aucun récit

Comme des personnages imaginaires n’existant que dans des films d’aventure
Et capable de dompter tels d’infaillibles guerriers les situations de mauvaise augure

L’on finit parfois par se créer une existence nouvelle dans cette atmosphère
Pour être dans le peloton de tête des interactions au niveau de la Twittosphère

A la manière de très rigoureux membres d’un jury de soutenance de thèse
L’on s’érige en distributeurs de bons ou mauvais points en toute aise

On se déconnecte du monde physique pour se focaliser sur du profondément virtuel
Au point où tout ce qui s’y passe prend une ampleur qui achève de secouer le réel

La volonté d’être le centre permanent de l’attention devient une seconde nature
L’on devient dépendant de cette situation comme des junkies face à leur drogue dure

Même lorsque les circonstances ne l’exigent pas, l’on recherche désespérément un conflit
Pour en fin de compte se poser comme l’exemple au milieu d’une masse d’égarées brebis

Il n’existe malheureusement par de centre de désaccoutumance pour cette toxine
Il faudrait se préoccuper de cette tendance qui inquiète plus qu’elle ne fascine

La marque du moi est à célébrer en toutes circonstances, même les plus tristes
L’on fait de l’autopromotion pendant des funérailles tels des touristes

Les témoignages concernent plus sa propre personne que la personne sinistrement disparue
A la vue des statuts lors des anniversaires, l’on se demande qui est finalement l’heureux élu

A la différence des portes de magasins, notre porte virtuelle est ouverte en continu
Le nombrilisme doit être libre et les caméras frontales totalement mises à nu

Dans cette course effrénée, l’on retire de son compte des photos n’ayant pas assez de « J’aime »
Savoir quel filtre choisir pour la prochaine photo se pose comme un cruel et répété dilemme

L’épidémie s’empare des jeunes et moins jeunes dans un incontrôlable tourbillon
Chacun devenant acteur et narrateur d’une histoire qu’il a réécrite au brouillon

L’on veut se convaincre qu’il s’agit simplement de partager des moments chauds
Mais le cycle ne se reproduit inlassablement que pour nourrir notre ego affamé et costaud

Atteint de ténia sévère, cet égo, tel un parfait glouton n’épargne aucun mets
Il est prêt à faire autant de tours et de détours que possible en direction du buffet

Un nouveau mode de vie a émergé et pris le contrôle de notre planète
Le nombre d’interactions étant pour nous le baromètre de notre valeur nette

La déprime se pose comme la fidèle et solide compagne des moins suivis
L’on ajoute ainsi des soucis supplémentaires à une déjà éprouvante vie

En conclusion, nouveau langage des émotions
Ou crise profonde de la civilisation ?

La vie est trop brève pour être petite
Faisons d’elle une balade inédite

© M²CD

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